L’avant-projet de loi sur les profils d’ADN prévoit une extension de l’analyse de l’ADN à des fins d’enquêtes criminelles. Au moyen de ce qu’on appelle le phénotypage, il devrait être possible de déterminer la couleur des yeux, des cheveux et de la peau ainsi que l’origine « biogéographique » et l’âge biologique à partir de traces laissées au lieu du crime. Reste à savoir s’il existe un intérêt public suffisant et si la mesure de contrainte est proportionnée.

Déjà lors de la préparation de la loi de 2005, le Conseil fédéral a voulu ouvrir aux autorités de poursuite pénale la possibilité d’utiliser exceptionnellement les éléments codés de l’ADN pour élucider des crimes, en identifier les auteurs ou administrer des preuves. Dans les débats parlementaires, l’ancien conseiller national Felix Gutzwiller a relevé que la commission avait à juste titre fermé cette brèche. Après que le parlement a empêché l’« homme de verre », le Conseil fédéral reprend un nouvel élan.
A première vue, on pourrait penser que le projet de loi n’est pas problématique car les caractéristiques extérieures devant être constatées par phénotypage sont sans autre visibles pour chacun. Toutefois, pour les déceler, il faut saisir toutes les informations génétiques et dès lors la base matérielle de l’information fondamentale sur les attributs individuels de chaque personne – il ne s’agit juste pas d’un simple regard.
Une telle atteinte grave au droit informel d’autodétermination doit pouvoir se justifier par un intérêt public qualifié pour que la mesure de contrainte soit proportionnée. La fedpol souligne que l’analyse technique et donc la vraisemblance du pronostic se sont nettement améliorées ces dernières années et que l’extension de l’analyse de l’ADN se justifie pour augmenter l’efficience de l’autorité de poursuite pénale. La fedpol n’est toutefois pas en mesure d’indiquer la plus-value pratique concrète pour la recherche d’auteurs d’infractions. L’association allemande des avocats s’oppose aussi à l’introduction du phénotypage. Pour cette organisation, l’atteinte au droit fondamental ne se justifie par aucun bénéfice notable pour le travail de recherche et elle déclare ne pas avoir connaissance d’un seul cas où l’analyse de cheveux, de peau et de couleur d’yeux aurait fait avancer une enquête. S’il n’y a pas ou peu de plus-value policière, il faut remettre en question la nécessité de la prescription légale.
Par ailleurs, le phénotypage des traces d’ADN laissées sur le lieu du crime pose le grand problème d’une augmentation de la discrimination institutionnelle des minorités en Suisse. En effet l’indication « couleur de peau : blanche ; origine : Europe » dans une société européenne majoritairement blanche ne sert à rien pour la recherche d’un criminel. Il est à craindre que, dans des recherches de criminels sur la base des résultats de l’analyse ADN étendue, certain groupes de population fassent systématiquement l’objet d’un soupçon généralisé – en particulier s’il est donné une forte visibilité à l’affaire.

Il se peut que la technique se soit améliorée, mais la problématique touchant les droits fondamentaux et les droits humains engendrée par le phénotypage demeure encore 15 ans après les premiers débats parlementaires. Ceux qui veulent l’utilisation d’un phénotypage parce que cette possibilité est à disposition le demandent comme une fin en soi.
Les Juristes Démocratiques de Suisse et droitsfondamentaux.ch en appellent au Conseil fédéral pour qu’il maintienne la boîte non ouverte.
La prise de position complète des JDS au sujet de l’avant-projet peut être consultée on line.

Melanie Aebli (JDS) et Stefan Dietiker (droitsfondamentaux.ch)

plaidoyer 6/2019